VGE : un destin contrarié et la disparition d’une « fascination de modernité »

Par Fabrice LEMESLE


Jeudi 3 Décembre 2020 à 10:45 -

Les plus vieilles plumes des médias télévisés souvent très critiques pendant son septennat et même au-delà ont rivalisé jusqu’à tard dans la nuit en belles emphases pour magnifier et rendre hommage au président Valéry Giscard d’Estaing disparu hier à l’âge de 94 ans



Valéry Giscard d'Estaing avait été élu président de la République en 1974. Il ne restera qu'un mandat (septennat) au Palais de l'Elysée, battu le 10 mai 1981 par le socialiste François Mitterrand - Photo © DR
Une nouvelle page de notre histoire politique vient de se tourner. Avec ses ombres et lumières. Une voix chuintante inimitable mais tellement imitée par les meilleurs dont Thierry Le Luron. Incroyablement moderne que ce personnage de prestance aristocratique regardant la France au fond des yeux lors de la présentation de sa candidature à la présidentielle de 1974 et de sa réplique restée culte « non Monsieur Mitterrand vous n’avez pas le monopole du coeur ».

Sept ans avant sa dernière phrase présidentielle tout aussi historique d’une scène tournée au ridicule. Pas vraiment à tort car son « au revoir » théâtral a marqué les esprits. Pour toujours. Comme ses dîners chez l’habitant et ce « devine qui vient dîner ce soir ? » ou la réception « petit déjeuner » des éboueurs à l’Elysée ou les voeux au coin du feu avec une « Première dame » très mal à l’aise, tournés en dérision.

Evincé par la « machine de guerre chiraquienne »

Mécanique intellectuelle exceptionnelle, le président « à la barre » et architecte en chef de l’Europe avec son grand ami Helmut Schmidt a laissé un bilan réformateur plutôt flatteur lors des trois premières années de son septennat.

En incarnant l’un des pères de l’Europe et la France du progrès avant que la crise économique et la montée de l’inflation à deux chiffres et du chômage sous Raymond Barre, une dérive caricaturale de sa personnalité et l’affaire des diamants de Bokassa, ne l’emportent. La symphonie inachevée d’un style présidentiel unique. Les Français ne lui auront pas donné une seconde chance et la machine de guerre chiraquienne aura fait le reste.

Un président très vite oublié et décrié après avoir exercé tant de fascination auprès de ses supporters et d’une grande partie de son peuple. Sa statue pourrait être partiellement réhabilitée ces prochaines semaines. Avant de retomber comme un soufflé ? L’histoire nous le dira très vite.

Dépénalisation de l'avortement, majorité à 18 ans...

Aujourd’hui comment ne pas retenir toutes ces réformes portées pour l’intérêt général, même parfois courageusement contre son camp comme la loi Simone Veil supportée avec Jacques Chirac, alors Premier ministre, face à un parti gaulliste majoritairement vent debout devant cet esprit de modernité, et promoteur de l’abaissement de la majorité à 18 ans, le remboursement de la pilule, le divorce par consentement mutuel, la dépénalisation de l’avortement (sa réforme emblématique), la libération des prix. Le dernier président à avoir présenté en 1980 un budget en équilibre!

L’homme-président qui « aimait les femmes » et qui au niveau sociétal leur aura aussi beaucoup apporté, avait également « libéré » un peu plus la vieille et poussiéreuse ORTF. Rangée aux limbes de l’histoire à travers néanmoins ses images restées toujours vivantes grâce à l’INA.

Plus jeune député, puis ministre de l’Economie du général de Gaulle à l’époque avant de fouler le tapis rouge de l’Elysée comme plus jeune président de la Ve République, avant que 43 ans plus tard Emmanuel Macron n’entre au Palais.

Battu par « La force tranquille » de Mitterrand en 1981

VGE a quitté sous les sifflets et même les crachats « des gens de gauche » le pouvoir avant très vite de le…reconquérir en chemin inverse au plus petit échelon : conseiller général de Chamalières, ville du Puy-de-Dôme gérée par l’un de ses fils ancien député, député revenu aux bancs de l’hémicycle, président du conseil régional de l’Auvergne, sa terre d’élection (il fut à l’origine créateur du parc Vulcania).

Il n’a jamais compris comment il avait pu être battu par la « Force tranquille » François Mitterrand en ce dimanche 10 mai 1981. Avec un boomerang lors du débat précédant le second tour lancé par son futur vainqueur « vous êtes l’homme du passé et du passif », une formule toute aussi culte signée de son publicitaire de campagne, Jacques Séguela.

Il avait beau avoir essayé d’être proche des Français, contrairement à son grand ennemi, Jacques Chirac, il ne le sera jamais vraiment. « Son problème, c’est le peuple » avait dit de lui quelques années plus tôt le général de Gaulle, dont il facilita le…départ à la suite du vote référendaire perdu en 1969.

Il reposera en paix au côtés de sa fille, Jacinthe, trop tôt disparue, à Authon, dans le Loir-et-Cher, où il s’est éteint des suites du Covid 19.

L'hommage, ce soir, d'Emmanuel Macron

Un « immortel » à l’habit vert (il venait de sortir son cinquième roman) nous a quittés pour l’éternité. Il n’est pas sûr là-haut qu’il jouera un air d’accordéon à son vieux rival corrézien parti avant lui et retrouvé quelques années plus tôt au Conseil constitutionnel. Pour des retrouvailles cocasses entre ces deux frères ennemis racontées avec beaucoup d’humour par l’ancien président de cette institution, Jean-Louis Debré, fidèle grognard du grand Jacques!

Le président Macron s’adressera ce soir à 20 heures aux Français. Pour rendre hommage à son lointain prédécesseur. On peut lui faire confiance, il devrait être à la hauteur de l’événement comme le fut Jacques Chirac à son époque à la disparition de François Mitterrand.